Sortir : Cette envie de réalisation, vous l'aviez en vous depuis longtemps ?


Fanny Ardant : Ça n'était pas un désir qui me tenaillait. J'ai d'abord écrit cette histoire, que j'ai très vite conçue comme visuelle puis, lorsque je suis arrivée au bout, ça me paraissait presque impossible. Et puis j'ai eu l'avance sur recettes et un producteur a cru en moi. Et c'était parti. L'envie d'un film devait être obscure, comme si je n'osais pas me l'avouer, mais je voulais voir d'abord si je serais capable de porter jusqu'au bout l'histoire que j'avais en moi et ensuite, de la confronter au regard de quelqu'un d'autre. Je l'ai écrite au moment où je jouais au théâtre. L'après-midi, on attend la représentation du soir et on a un temps disponible qu'on n'a pas à s'excuser d'avoir puisqu'on joue le soir. J'ai donc mis à profit ce temps pendant lequel je ne pouvais pas tourner.

 

Sortir : Lorsque tout cela devient réel, est-ce qu'une certaine forme d'inquiétude, celle de devoir faire face à la réalisation d'un film, se manifeste ?


F. Ardant : Non, parce que je pense que cette inquiétude ou le sens de la prétention qu'on peut avoir par rapport à tout cela, lorsqu'on se dit « comme j'ai été prétentieuse », tout ça ne vient qu'une fois que tout est fini. Le cinéma, c'est très concret et très pragmatique. C'est pour cela que je m'étais dit qu'une fois le tournage embarqué, je ne devais pas me laisser aller à des états d'âme. Après, c'est comme une machine de guerre qui avance : beaucoup de gens dépendent de vos décisions. Il faut préparer la journée du lendemain. On tournait aussi le samedi et du coup, le dimanche, un peu comme un écolier, je préparais la semaine à venir parce que je savais qu'il allait falloir composer avec de nombreux impondérables et qu'une base solide était indispensable pour faire face à tout cela.

 

Sortir : Des années passées à arpenter les plateaux de cinéma en tant qu'actrice vous ont-elles rendu la tâche plus facile ou au contraire vous a-t-il fallu vous départir de réflexes pas forcément bons ?


F. Ardant : J'ai grandi sur des plateaux, ce n'était pas un monde qui m'effrayait. En tant qu'actrice, j'adore être sur un plateau avec les techniciens, les lumières. J'aimais déjà m'y trouver sans qu'on ne me parle, voir, écouter, observer, un peu comme quelqu'un qu'on aurait oublié dans un coin. Par contre, je me suis rendue compte que j'avais été très peu curieuse que je n'avais jamais demandé à quoi correspondaient les objectifs, que je ne connaissais pas les termes techniques. Du coup, j'utilisais un charabia invraisemblable pour traduire ce que je voulais. J'ai heureusement eu cette chance de travailler avec Gérard De Battista, qui traduisait mes envies en des mots compréhensibles par l'équipe. Je disais par exemple « J'aimerai qu'on s'approche progressivement » Il répondait : « Bon, un travelling ? ».

 

Sortir : Les rapports avec les comédiens étaient-ils différents de ceux que vous aviez avec le reste de l'équipe ?


F. Ardant : Les acteurs m'impressionnent. Comme moi je sais comment je fonctionne, je n'ai pas envie qu'on me parle trop. Je pars du principe qu'un acteur, c'est quelqu'un d'intelligent et de sensible. Une fois qu'on s'est mis d'accord en se parlant sur le scénario, on sait. Après, chacun arrive dans sa route. La chose la plus délicate à traiter, ce sont les scènes d'émotion. J'ai une grande pudeur pour cela. Je n'aimerai pas dire à quelqu'un « il faudrait que vous vous mettiez à pleurer », j'aurai détesté dire ça. Le rapport aux acteurs étaient sans doute celui qui m'intimidait le plus. J'ai tendance à penser que c'est plus au comédien de trouver sa justesse par rapport au texte qu'au metteur en scène à lui imposer. Je me souviens avoir eu une conversation avec Vittorio Gassman qui disait : « moi je ne discute jamais avec un metteur en scène, parce que si c'est un bon metteur en scène, il n'y a rien à dire. Si c'est un mauvais, ce sera pire de discuter » et j'avais trouvé ça très juste. C'était aussi mon point de vue. Moi, ce que j'adore en tant qu'actrice, c'est ne pas discuter avec un metteur en scène, mais rentrer dans son univers. Aujourd'hui, on tourne ce rôle, demain ce sera un autre.