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Paul Charlemagne (1892-1972), L'œuvre au noir

Paul Charlemagne (1892-1972), L'œuvre au noir (2022)
Né à Paris dans une famille d’artiste, Paul Charlemagne, après débuté comme peintre décorateur de théâtre, s'impose ensuite comme l'une des figures marquantes du néo-réalisme français des années 20-30. L'exposition présente une soixantaine d’œuvres de cette période.

Esquisse d’un parcours pictural

 

Paul Charlemagne est né à Paris le 9 août 1892. Il est le premier enfant d’Hippolyte Charlemagne (1856–1905) et de Marthe Isabelle Sandélis (1869-1917) qui résident alors au 145 rue de Villiers dans le 17ème arrondissement. La famille s’agrandira, par la suite, avec l’arrivée de Raoul (1893-1916) et de Marthe (1900-1981). Natif de Toulouse, où son père François Auguste (1822 – 1885), après avoir été sabotier, exerça la profession de peintre verrier, Hippolyte se destine jeune à embrasser une carrière artistique. Il intègre l’Ecole des Beaux-Arts et des Sciences Industrielles de sa ville natale où il se distingue en remportant plusieurs prix[1]. Vers 1875, il se rend à Paris et parfait sa formation à l’Ecole des Beaux-Arts dans l’atelier d’Alexandre Cabanel (1823-1889). Il commence à exposer au Salon en 1879 où il présente un portrait.[2] Il se spécialisera dans la peinture militaire, genre alors en vogue, et le portrait. Afin de s’assurer de revenus stables, il sera également enseignant à l’école primaire supérieure Lavoisier ainsi que professeur et directeur des cours du soir de Belleville.

Du côté maternel, les grands-parents Auguste Sandélis dit Aliot (1828-1883) et Reine Chevalier (1826-1873) étaient établis à Paris comme artisans tabletiers. La jeune Marthe aurait passé son enfance à Le Fay en Saône-et-Loire auprès de ses grands-parents maternels[3].

Peu après la naissance de Paul, la famille emménage dans un vaste appartement au 29 bis du boulevard Saint Jacques dans le 14ème arrondissement. Le jeune enfant, sensible et rêveur, est de bonne heure irrésistiblement attiré par l’une des nombreuses pièces qui le composent : l’atelier du père, « les mystères des cartes, des boîtes à couleurs, la féerie des bouts de pastel, les cartons de dessins et de gravures auxquels il était interdit de toucher ».[4] Scolarisé à l’école primaire du boulevard Arago, il reçoit les premières leçons paternelles basées exclusivement sur le dessin, « les feuilles d’acanthe, les profils romains, les chimères, le Dante, les ruines archéologiques… les recherches du père dont il n’était rien perdu et qui restent étrangement vivace en mon esprit ». De son côté, Paul développe un intérêt particulier pour la botanique et remplit des carnets d’études de fleurs et de plantes réalisées d’après nature ou d’ouvrages scientifiques. Il passe une enfance heureuse dans ce milieu ouvert et bienveillant. On l’emmène au théâtre du Châtelet voir Les Aventures du capitaine Corcoran[5], il découvre le cinéma avec le Quo vadis ? de Lucien Nonguet[6], assiste au spectacle du cirque Barnum dans la Galerie des machines du Champ-de-Mars ainsi qu’au Buffalo Bill’s Wild West Show[7]. La musique est également très présente dans ce milieu cultivé ; ses parents, tous deux musiciens, jouent quotidiennement et invitent régulièrement des amis à se joindre à eux pour de petits concerts de musique de chambre. En 1900, son père fait l’acquisition d’un terrain à Marcq dans les Yvelines et y fait construire une maison. Ce havre verdoyant en pleine campagne comble le jeune citadin épris de nature : il y peut à loisir se consacrer à la botanique et c’est aussi un formidable terrain de jeu. La mort brutale de son père le 4 octobre 1905 vient mettre un terme à ces premières années de bonheur, rien désormais ne sera plus comme avant : « Puis une nuit, un cri, une femme sanglotant, à genoux, cherchant à ranimer un homme qui meurt. La première douleur et, depuis ce temps-là, une mélancolie impossible à détruire … ». Marthe et ses trois enfants sont contraints de déménager. Commence alors une période de grandes difficultés : « A la maison le chagrin, la peine, la gêne, presque la misère dans ce sordide appartement de la rue Brocca que nous devions quitter, enfin, un peu plus tard pour le boulevard de Port Royal, plus gai, où nous fûmes plus heureux, malgré la maladie de Maman, Marthe difficile à élever et les difficultés qu’entraîne la vie d’une femme qui gagne peu et veut quand même bien élever ses enfants ». Paul poursuit ses études à Lavoisier où il bénéficie de toute l’attention des anciens collègues de son père. En 1908, afin de contribuer à la vie matérielle de la famille et sans renoncer totalement à sa vocation artistique, il entre comme apprenti dans l’atelier du peintre décorateur Marcel Jambon (1848-1908)[8]. Il en garde le souvenir d’un « dur, long apprentissage » fait de « corvées et de brimades » mais néanmoins « excellent quant au métier ». Il ne bénéficie que peu de temps des conseil avisés et de l’exemple de ce grand praticien. Après sa disparition, son gendre Alexandre Bailly (1866-1947) lui succède. A cette époque Charlemagne, éveillé par un camarade d’atelier, s’intéresse à des formes d’art plus modernes. Il fréquente la galerie Durand-Ruel où il découvre les impressionnistes et s’enthousiasme pour Manet et Courbet aperçus chez Bernheim. Les cahiers d’estampes japonaises et de gravures de Piranèse consultés à l’atelier le marquent également profondément. En 1909, en dépit de sa lourde charge de travail, il s’inscrit au cours du soir de l’école supérieure de dessin à Montparnasse. Il y suit l’enseignement relativement classique de Jacques Auguste Jobbé-Duval (1854-1942) et d’Adolphe Barnoin (1853- ?). Il y restera jusqu’en 1913 avant de rejoindre l’Académie Moderne que dirige Charles Guérin (1875-1939). Sous l’influence du photographe Eugène Adget (1857-1927), rencontré chez Jambon, le jeune homme profite aussi de son peu de temps libre pour réaliser des croquis dans les environs de l’atelier, entre la barrière du Combat et celle de la Chopinette, en direction des Buttes-Chaumont dans le Nord-Est parisien. Il s’attache plus particulièrement au quartier de Montjol, haut-lieu de la prostitution bon marché où il réalise des études de « mœurs ». Il quitte aussi Paris pour sa campagne proche, allant travailler sur le motif dans la vallée de Chevreuse et à Saint-Cloud.   Charlemagne ne se cantonne pas aux seuls arts plastiques, son éducation intellectuelle, qu’il entreprend par lui-même, passe également par la lecture et la fréquentation assidue du théâtre. Il assiste notamment en 1911 à une des premières représentations de l’Oiseau bleu de Maurice Maeterlinck (1862-1949), voit Ida Rubinstein dans Le Martyre de Saint Sébastien, suit avec attention les ballets russes[9], fréquente le théâtre des arts de Jacques Rouché (1862-1957) puis assiste aux premières représentations[10] du théâtre du Vieux-Colombier fondé par Jacques Copeau (1879-1949). Son univers plastique s’élargit également progressivement, sa grande curiosité l’amène ainsi à visiter en 1912 les expositions des futuristes italiens, de Vuillard (1868-1940) puis de Bonnard (1867-1947) à la galerie Bernheim comme celle de Jacqueline Marval (1866-1932) chez Druet, ou à se rendre l’année suivante au Salon des Indépendants, marqué par le tapage causé par la présentation d’œuvres cubistes de Gleizes, Léger, Delaunay, Le Fauconnier, Metzinger… qui retiennent son attention. Il fréquente également assidûment le musée des arts décoratifs, sa bibliothèque et ses expositions (Willette, Toulouse-Lautrec, Utamaro, Hiroshige et Hokusai, Daniel Vierge, La Porcelaine de Copenhague…). Il ne s’interdit rien et se forge une vaste culture visuelle qui irriguera son œuvre à venir. En 1913, il quitte l’atelier Bailly, où il « ne gagne pas assez » pour celui d’Amable (1846-1913). Charlemagne y reste peu de temps et intègre l’atelier d’Eugène Ronsin (1874-1937) au sein duquel il va « enfin commencer un peu à vivre ». Il y fait la connaissance du couturier Paul Poiret (1879-1944)[11], ami de Ronsin, et surtout de sa future femme Agnès Jallet[12], une des « Martines »[13] du célèbre créateur. Ces prémices d’une vie plus sereine sont bientôt interrompues par la guerre. Le 4 août, il est mobilisé et incorporé au 82ème d’infanterie qui stationne alors à Montargis. Il est ensuite versé au 79ème d’infanterie en décembre puis au 1er chasseur en janvier. Il gagne Dunkerque où il arrive le 2 février puis part en direction d’Ypres où se trouve le front. Il y reste jusqu’au mois de juin avant d’être envoyé dans la Marne. Il est d’abord légèrement blessé en août puis plus sérieusement en septembre, près de Saint-Lumier-la-Populeuse.  Après une convalescence passée dans la région de Moissac, il est de retour au combat dans la Somme en janvier 1916. En août, Il est de nouveau blessé, plus grièvement cette fois, manquant de perdre un bras. En mars 1918, il est affecté à Troyes et dans sa région. Il devient sous-officier instructeur et ne participe plus directement au combat. Il est démobilisé le 16 août 1919.  De retour à la vie civile, il rejoint Paris et retrouve l’atelier de Ronsin, associé désormais à Marc-Henri et Laverdet. Il habite dans un petit appartement au 20 du boulevard de Port-Royal où il trouve un « calme heureux ». Charlemagne se partage entre le « travail d’étude à la maison et d’exécution à l’atelier ». Son ami, le peintre Georges Pacouil (1903-1997) se souvenant de cette époque rapporte : « Il était un peu chef d’atelier en ce qui concerne le travail artistique. Il était en tout d’une très grande virtuosité. Nous faisions parfois de grands poncifs, et plusieurs à le piquer, et il était de loin le plus rapide de nous tous. Pour les décors, il trouvait des factures plus originales. Il faisait des esquisses et des maquettes, et aimait qu’on puisse les interpréter largement. Nous l’admirions beaucoup ! »[14]. En 1921, son talent et sa grande maîtrise incitent Ronsin à lui faire signer un contrat l’associant aux bénéfices de l’atelier.[15] Il va notamment participer à la décoration des Folies Bergère, de la Comédie de Paris, du Théâtre de Lyon et du théâtre de l’Oasis de Paul Poiret. Libéré de tout souci matériel, stabilisé dans son existence jusqu’alors difficile, Charlemagne, alors âgé de 29 ans, réalise ses premières peintures. C’est à Marcq qu’il peint quelques natures mortes et des paysages marqués par l’art de Dunoyer de Segonzac (1884-1974) qui s’impose alors comme le chef de file avec Derain des peintres réalistes en France. Ce n’est cependant qu’en 1923 qu’il expose pour la première fois au Salon d’Automne un tableau intitulé Le Hangar, œuvre réalisée au couteau dans une pâte épaisse et généreuse. La réception critique est plutôt bonne même si l’influence de Segonzac est fréquemment signalée, à l’instar de François Fosca  (1881-1980) qui note dans un compte-rendu du Salon :  « Le Hangar de Charlemagne est d’un élève avoué de Segonzac, mais d’un élève qui fait honneur au maître »[16].  Il convient toutefois de nuancer ce propos, la peinture de Paul Charlemagne est moins rugueuse, sa matière plus fluide et délicate et ses cadrages serrés (fig. 1, cat. n° 2) ne confèrent pas à ses toiles le souffle épique qui anime les œuvres de son aîné.  Au contraire de ce dernier, flamboyant et terrien, Paul Charlemagne est un cérébral plutôt introverti et inquiet en dépit d’une bonhomie de façade. Il use, de plus, davantage des noirs que des ocres et des terres, ce qui le distingue encore.  Au même moment, il expose en compagnie de son ami Pierre Berjole (1897-1990), comme lui peintre et décorateur, à la galerie Joseph Billiet (fig. 2) avec là encore des commentaires laudateurs accompagnant cet événement. A cette période Charlemagne commence également ses périples à travers la France. Ces derniers tiennent plus du voyage d’étude que de l’excursion touristique, notre peintre en profite bien évidemment pour faire le plein de motifs à peindre et travailler sur place mais il s’attache également à noter et décrire scrupuleusement dans des cahiers (fig. 3) les églises, monuments et autres curiosités qu’il visite[17]. Les années 20 vont probablement être la période la plus féconde pour sa peinture, Charlemagne va s’y consacrer pleinement. Il quitte l’atelier Ronsin en 1924 et délaisse pour un temps son travail de décorateur.   Il va rapidement s’imposer comme une figure marquante du néo-réalisme français, cet art du « juste milieu », ni académique, ni d’avant-garde, soutenu par un réseau de galeries, de journaux et de critiques. Il est rapidement remarqué et défendu par certains d’entre eux comme Thiébault-Sisson (1856-1944), François Fosca (1881-1981) ou Charles Fegdal (1880-1944). Paul Charlemagne ne s’attache pas à un genre en particulier, il réalise des natures mortes, des paysages, comme des portraits, peut se faire peintre animalier, mais la représentation de la femme est sa grande obsession, modèles d’atelier (fig. 4, cat. n° 3) paysannes de Marcq ou de Bretagne, asphalteuses à la chair lasse (fig.5, cat. n° 45). La critique relève souvent l’aspect un peu triste et austère de son œuvre. Il s’en dégage, il est vrai, une grande mélancolie, un spleen baudelairien comme le souligne Louis Hautecoeur (1884-1973).[18] Sentiment exalté par sa palette où des rouges incandescents, des bleus et des verts irradiants flamboient parmi des noirs les plus nocturnes mais aussi par sa matière écrasée sous le couteau et rebroussée sous le pinceau qui donne une impression de temps qui passe et qui corrompt. Dans certaines de ses natures mortes en contre-plongée, il convoque ses souvenirs d’enfance, les soldats de plomb, les images d’Epinal (fig. 5, cat. n° 5) qui le fascinaient chez le libraire en bas de chez lui, la botanique… En 1925, il expose pour la première fois au Salon des Indépendants ainsi que dans plusieurs galeries dans le cadre d’expositions de groupe. Il sera désormais régulièrement présent chez Bernheim, Ernest de Frenne et Billiet comme dans les salons déjà cités.  L’année suivante, grâce au soutien de Thiébault-Sisson, il est lauréat en même temps que Robert Antral  (1895-1939) de la fondation Florence Blumenthal pour la Pensée et l’Art Français.  Cette distinction qui consacre son ascension rapide comme peintre lui permet d’obtenir un contrat avec la galerie Allard où il exposera presque sans interruption jusqu’en 1939. Cette relative aisance financière lui permet de louer un atelier rue Pascal. Sa réussite ne le guérit cependant pas de son vague à l’âme « […] mais aussi les tristesses ou les mélancolies secrètes dans cet atelier blanc et brun, où j’ai beaucoup travaillé, mais où j’ai eu aussi tant d’heures moroses, indéterminées, sans raison valable ». Ses voyages lui permettent temporairement d’échapper à cette pesanteur et sont vécus comme des moments heureux, la Bretagne en 1927 et 1930, la Provence en 1929, la Normandie régulièrement… Un achat de l’Etat en 1927 pour le musée du Luxembourg, où est alors exposé l’art contemporain, établit encore un peu plus sa réputation. Il sera suivi par de nombreuses autres acquisitions jusqu’au milieu des années 50. Charlemagne sera également dorénavant invité à participer aux expositions officielles d’art français à l’étranger. D’un point de vue personnel, la famille Charlemagne s’agrandit avec la naissance de Françoise en 1927 (fig. 6, cat. n° 27) qui sera suivie par celle d’Alain en 1932 (fig. 7, cat. n° 26). Le krach boursier de Wall street, en octobre 1929, va changer la donne. Les premiers effets de cette crise financière commencent à se faire ressentir en France en ce début des années 30. Le marché de l’art qui avait connu durant les Années Folles une formidable expansion, devenant extrêmement spéculatif, se contracte peu à peu et rend la vie de la majorité des artistes plus précaire. Charlemagne n’échappe pas à la règle et en perçoit les effets à partir de 1932, il doit quitter son atelier. Cela s’accompagne, de surcroît, d’un sentiment d’insatisfaction de plus en plus prononcé par rapport à sa peinture qui n’est pas sans rapport avec les difficultés qu’il traverse au sein de son couple et à l’angoisse de mort qui le traverse alors régulièrement, l’amenant même à rédiger son testament en 1933. A cette époque sa palette s’est éclaircie quelque peu et la facture est moins véhémente, même si la matière semble parfois vibrionner comme dans ses toiles bretonnes. On peut y voir une forme d’apaisement là où le peintre voit une forme d’amollissement. L’angoisse qui sourdait dans certaines de ses œuvres précédentes s’estompe sans pour autant totalement disparaître.  Cela ne semble nullement nuire à sa réputation, cette même année il est ainsi convié à représenter la France à la biennale de Venise. Les années trente vont ainsi marquer l’apogée de sa carrière en termes de reconnaissance officielle, il est ainsi nommé au grade de Chevalier de la Légion d’Honneur en 1938, comme elles annoncent son inévitable déclin. Afin de pallier cette baisse de revenu, il se tourne vers la décoration. Il travaille donc de nouveau pour le théâtre et réalise les décors et les costumes pour Roselinde et La Princesse lointaine à l’Opéra de Paris en 1933, pour L’Otage de Paul Claudel à la Comédie Française ainsi que pour Tout-an-Khamon (sic) à l’Opéra-Comique en 1934 puis pour La Nuit embaumée à l’Opéra-Comique en 1938. En 1934, Il débute une fructueuse collaboration avec la manufacture de Sèvres (fig. 8). Elle durera jusqu’en 1960, Charlemagne fournira près de 200 modèles de décors. L’année suivante, il commence également à concevoir des panneaux décoratifs ainsi que des projets de tapisserie et de tissus pour la maison Janssen. Il en fera de même, à partir de 1938,  pour la manufacture de soierie lyonnaise Bianchini-Ferier. Ces multiples activités ne l’empêchent nullement de continuer à peindre, à dessiner et à développer sa pratique de la gouache. Grâce à cette dernière technique il peut proposer, dans ce contexte de crise, des prix modérés pour les collectionneurs. Charlemagne trouve encore le temps de parcourir les galeries et les salons, de se rendre au cinéma, au concert ou au théâtre, lire… comme l’attestent les nombreux carnets dans lesquels ce graphomane impénitent a compilé et détaillé l’ensemble de ses impressionnantes pratiques culturelles. En dépit de l’intense énergie qu’il déploie, sa situation financière ne semble guère florissante, ses revenus baissent environ d’un tiers lors de ces années.  L’arrivée de la Seconde Guerre ne va pas améliorer cette situation mais ne va cependant pas la dégrader. La vie artistique à Paris va se poursuivre et Charlemagne y prendra part comme il continuera l’ensemble de ses activités. Par manque de clairvoyance et sans en mesurer les conséquences, il s’investira dans le Salon de l’imagerie, contribuant ainsi à en renouveler l’iconographie selon les visées du régime de Vichy. Paul Charlemagne se consacrera cependant davantage à l’imagerie religieuse (fig. 9), il travaillera notamment pour Odilia[19] et la maison Decré à Nantes. Il se verra également passer plusieurs commandes pour des affiches, notamment par le commissariat aux sports et surtout, par l’intermédiaire de Louis Hautecoeur, alors secrétaire général des Beaux-Arts, il réalisera en 1941 un carton à tapisserie ayant pour thème la glorification du Maréchal Pétain. Il ne sera pas inquiété au sortir de la guerre et ne passera pas devant le comité national d’épuration des artistes peintres, dessinateurs, sculpteurs et graveurs. Sans vouloir justifier l’attitude de Paul Charlemagne, outre qu’il avait la nécessité de faire vivre sa famille, il apparaît à la lecture de ses carnets qu’il ait continué à mener sa vie comme avant, non par indifférence ou adhésion à l’idéologie vichyste, mais simplement comme si son univers mental était borné au seul domaine des arts. Au retour des premiers déportés, il s’indignera dans son journal intime de l’horreur qu’il découvre alors et éprouve un sentiment de trahison et de dégoût pour Vichy. Même si l’on peut s’étonner de son aveuglement, il ne convient pas de remettre en cause la sincérité de ses écrits. L’autre événement marquant dans cette période trouble est sa nomination comme professeur à l’Ecole Supérieure des Arts Décoratifs (1943) où il enseignera jusqu’en 1962. Il commence également à travailler pour l’architecte Henry Jacques Le Même (1897-1997), architecte à Megève, comme lui lauréat de la fondation Florence Blumenthal (fig. 10).  La vie reprend malgré tout son cours et dans l’immédiat après-guerre, Charlemagne va peindre de nombreux tableaux dont de nombreuses natures mortes flirtant parfois avec le surréalisme comme dans Les Débris (1946) ou La Vie, la mort (1946). Après avoir mis en scène de nombreuses violoncellistes[20] dans les années 30, il peint plus régulièrement des danseuses (fig. 11, cat. n° 35) à partir de la fin des années 40. Sa matière est toujours riche et subtile mais encore plus apaisée, sa palette s’est encore éclaircie et s’affirme de plus en plus chatoyante. Charlemagne est un habile coloriste qui semble se souvenir de son grand-père peintre verrier. Il poursuit également sa production de gouaches centrée principalement autour de figures féminines, explorant le monde de la prostitution mais également plus à la marge celui des relations sadomasochistes. Son temps historique est passé ; si Charlemagne continue d’exposer et a même droit à des expositions personnelles, elles n’ont plus le rayonnement d’autrefois.  Il peint moins et ses tableaux évoquent Marcq et ses environs ou se concentre sur la nature morte.  Charlemagne peindra jusqu’à ses derniers jours, il s’éteint à Paris le 10 mai 1972.

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] 1872,1873, 1874

[2] Portrait de Melle A. C., n° 596

[3] Notes de Paul Charlemagne, Archives familiales

[4] Ibid.

[5] Données en 1902.

[6] Sorti en 1901

[7] Respectivement en 1901 et 1905

[8] Marcel Jambon (1848-1908), élève puis associé du peintre décorateur Auguste Alfred Rubé (1817-1899), fonde son propre atelier en 1899 avec son gendre Alexandre Bailly (1866-1947). Il est considéré, à son époque, comme l’un des maîtres du décor. Il a beaucoup travaillé pour le théâtre.

[9] Il ne voit pas moins de 10 spectacles entre 1909 et 1913.

[10] En 1913.

[11] Paul Poiret (1879-1944) est un grand couturier qui marque l’histoire de la haute couture après Worth. Après sa formation chez Doucet et ensuite chez Worth, il crée sa maison de couture en 1903. Il a connu un rayonnement international non seulement dans la couture mais aussi dans divers arts. Doué d’une grande bonté, l’esprit ouvert à tous les arts, il a créé et imposé des formules nouvelles dans les genres les plus divers.

[12] Il se marieront en mars 1921.

[13] En avril 1911, Poiret crée l’école « Martine », nommée du nom de sa fille cadette.  Elle est située au 107 Faubourg Saint-Honoré. C’est une école expérimentale d’arts décoratifs pour les jeunes filles. Au moment de la fondation de l’école, il s’adresse à Marguerite Gabriel-Claude, épouse de Paul Sérusier, professeur de dessin dans plusieurs écoles municipales, et lui fait part de son projet : « Je désire créer une école où j’accueillerais des adolescentes douées, dont les parents ne peuvent payer des études artistiques».  Elle lui présente Agnès Vallat, Gabrielle Rousselin, Angèle et Alice Rutty (plus tard Natter) qui accompagneront Poiret tout au long de sa carrière.

[14] Souvenirs de Georges Pacouil concernant Charlemagne, Archives familiales.

[15] Contrat en date du 8 juillet 1921, Archives familiales.

[16] Fosca, F., « La peinture et la sculpture au Salon d’Automne », Art et décoration, octobre 1923.

[17] On trouve ainsi dans les archives familiales plus d’une dizaine de ces cahiers.

[18] Préface du catalogue de l’exposition « Paul Charlemagne, 10 ans de peinture », 1934.

[19]  Collection d’images religieuses créée par Jacques Le Chevallier (1896-1987) avec le concours de l’éditeur Adolphe Halard.

[20] Il revisite ainsi les souvenirs de son enfance.

Publié le 05/05/2022