Qu'est-ce qui a présidé au lancement de l'Espace Naturel Lille Métropole ?
Si on repart aux origines, la politique d'espaces naturels sur la métropole est née d'un constat, au début des années 1990. À l'époque de la construction d'Euralille et de l'arrivée du TGV, les bâtiments ont des difficultés à sortir de terre, à cause de la crise immobilière, mais également de cette turbine tertiaire que devait être Euralille, qui peine à attirer des entreprises. Un des freins de ce développement : l'image négative de la métropole en matière d'environnement. Pierre Mauroy vient d'être élu président de la Communauté urbaine, et veut lancer une politique de verdissement du paysage. On va faire de l'écologie pour créer de l'activité économique. Problème : aucune structure n'est dédiée à ces questions, pas de moyens massifs. Pendant une dizaine d'année, l'agence d'urbanisme va jouer les facilitateurs pour mettre en place une structure, faire émerger de nouveaux espaces de nature. Et, en 2002, adoption d'un schéma directeur : il s'agit de multiplier par cinq les espaces verts de la métropole. À l'époque, on compte 15m2 d'espace naturel public par habitant à Lille, contre 28m2 à Bruxelles, qui n'est pourtant pas connue pour ses espaces verts, ou 60m2 à Cologne. (Espaces verts publics qui, je le rappelle, ne comptent pas les golfs et les cimetières, contrairement à ce que certains essaient d'ajouter dans leurs calculs...) Pour des raisons économiques, il a fallu verdir la Métropole. Sept structures furent mises en place, parc de la Deûle, parc du Val de Marque, Canal de Roubaix... À la fin des années 1990, on se rend compte que l'on ne réussira pas aller bien loin sans un outil assez puissant pour accélérer le mouvement. À la faveur des lois Chevènement, redéfinissant les collectivités et leurs compétences, Lille s'empare des compétences action économique, logement, équipements culturels et sociaux, et une cinquième compétence qui n'est pas obligatoire : les espaces naturels, démarche unique en France. Compétence définitivement votée en 2002, l'Espace Naturel Lille Métropole est créé, avec la communauté urbaine, regroupant, déjà, quarante communes de sept structures.

« Pour des raisons économiques, il a fallu verdir la Métropole »

 

Quelle a été l'évolution ? Vous partiez de loin...
Le financement 2002 rassemblait les sept budgets pour un total de 4M€, on passe déjà à 16M€ en 2003. Dix ans après, nous gérons 1 300 ha de nature, dont 180 accessibles avec droit d'entrée (120 ha près du Hem, 33 ha Mosaïc, 14 ha musée de plein air), et avons une influence sur 3 000 ha : à ce jour, nous avons signé des opérations d'intégration paysagère avec une soixantaine d'agriculteurs, qui sont les premiers acteurs du paysage. La communauté urbaine de Lille est la plus grosse et la plus agricole de France, avec 45 000 ha encore agricoles sur 83 000 ha. Aujourd'hui, nous comptons 20m2 d'espaces verts publics par habitant. Les perspectives d'agrandissement reposent sur un plan de 2 000 ha supplémentaires sur les 10 ans à venir, et 250 km de voies vertes et de promenade. Nous en gérons déjà 260 à ce jour.

Quelles sont les raisons d'un tel retard au départ ?
Plusieurs raisons à ce retard peuvent être évoquées. Pendant très longtemps, les villes du Nord ont conservé une tradition très minérale. Regardez la polémique lors de la création du Parc Jean-Baptiste Lebas : on supprimait un parking ! À la différence de la Grande-Bretagne et de la Hollande, où les villes se créent autour des espaces verts, des cœurs très végétalisés. L'espace vert n'est pas une tradition de notre architecture !
Il faut dire que cette région a payé un lourd tribu à l'industrie des 19ème et 20ème siècles. L'aménagement des ville est purement utilitaire, on construit des maisons autour des usines, la qualité de vie s'avère secondaire. Pas un mètre carré qui ne soit utilisé, industries, habitations, commerce, tout est construit !
Sans oublier la densité urbaine ; à lui seul, l'arrondissement de Lille représente un quart de la population du Nord-Pas de Calais, la moitié de celle du Nord ! Une concentration d'habitants unique dans la région... La reconquête du paysage de nature doit donc passer par l'agriculture péri-urbaine, la reconquête des friches industrielles, et les 100 km de canaux de l'arrondissement, qui peuvent, même avec l'activité économique en place, devenir des corridors verts.

« En 2006, nous obtenons le grand prix national du paysage, en 2009, le prix du paysage décerné par le Conseil de l'Europe. Parce que c'était un pari de fou de partir de sites complètement ravagés, pollués, pour y réintroduire faune et flore ! »

 

Déjà un sacré travail accompli dans ce sens !
Concernant le parc de la Deûle, il s'agissait de préserver la ressource en eau. On y trouvait 42 rejets d'usine, des ordures ménagères, 900 000 m3 de pneus, environ 6 mètres de haut sur 2 ha, ce qui plaisait bien aux pompiers et la brigade cynophile pour s'entraîner ! Non loin de là, quand nous sommes arrivés sur le site du parc Mosaïc en 1992, sur trois étangs, deux étaient à sec, le troisième, tout noir. La concentration de métaux lourds cancérigènes y était 1 000 fois supérieure aux normes européennes ! Durant 15 ans, il a d'abord fallu un énorme travail de reconstruction de nature, là où l'on est parti de dépôts industriels scandaleux, de site pollués. En 2006, nous obtenons le grand prix national du paysage, en 2009, le prix du paysage décerné par le Conseil de l'Europe. Parce que c'était un pari de fou de partir de sites complètement ravagés, pollués, pour y réintroduire faune et flore ! L'an dernier a ouvert, à Roubaix, le site PCUK, 46 ha d'industrie chimique, gorgés de chrome et de phosphogypse... Nous avons construit un mille-feuille, des couches imperméables, enfermant des couches de boues polluées, notamment extraites du canal de Roubaix. Sur une première tranche de 24 ha, la nature peut désormais s'épanouir. Déjà 64 espèces d'oiseaux sont revenus, incroyable lorsque l'on sait que notre site le plus riche, la vallée de la Lys, dans les environs d'Armentières, en compte 220. Au point du vue des plantes, c'est tout aussi spectaculaire, avec 4 espèces rares ! Quant aux marais de Fretin, c'était une décharge à ciel ouvert, on y trouvait les vieilles pierres tombales des cimetières lillois, des rejets de toutes sortes. Allez les découvrir, après 5 ans de travail, c'est merveilleux, mon coup de cœur !

« L'ENLM, c'est à la fois préserver le peu d'espaces de nature qu'il nous reste, et favoriser le développement de nouvelles zones. »

 

Comment va se construire le développement futur ?
La trame verte et bleue se doit d'être un support du développement des villes. Et non plus, mettre de la nature lorsqu'on ne peut plus rien faire d'autre. C'est ce qui a été fait avec le parc Barbieux : il est né de l'abandon du creusement du Canal de Roubaix, ce dernier ayant été envoyé à 23 mètres de haut, puisque l'on ne pouvait plus passer plus bas. Restaient les excavation du canal : qu'en faire ? Pourquoi pas un jardin, ont proposé quelques notables roubaisiens...
L'ENLM, c'est à la fois préserver le peu d'espaces de nature qu'il nous reste, et favoriser le développement de nouvelles zones. Nous travaillons aujourd'hui sur quatre territoires : parc de la Deûle/Périseaux, val de Lys/ basse Deûle, canal de Roubaix/Marque urbaine, et val de Marque/chaîne des lacs. L'idée : accueillir le public dans ces zones de nature où se promener, avec le cours d'eau comme lien naturel. Nous prévoyons le développement de la Lys (Armentières) en un parc transfrontalier, et du Ferrain (Halluin), ainsi qu'un arc Nord (Bondues/Marcq-en-Baroeul), et le parc de la Deûle XXL : les deux extrémités, métropole lilloise et Lens en sont bien développées, nous désirons maintenant les relier. L'an dernier, nous avons pris la gestion de la navigation du canal de Roubaix, ré-ouvert, qui relie la Deûle, en France, à l'Escaut, en Belgique. Sans promotion, sans publicité, nous avons déjà accueilli 47 bateaux, dont la moitié français, les autres, belges, hollandais, britanniques, et même un australien !

Qu'avez-vous prévu pour les 10 ans d'ENLM ?
Il s'agit d'une date symbolique, l'occasion de marquer une étape, à la fois moment de réflexion partagée, et accentuation des animations. Notre programme annuel s'adresse à trois types de publics : les professionnels, pour partager ce qui se conçoit de plus pertinent en matière de réconciliation entre ville et nature. Nous sommes inscrits dans deux projets européens, l'un regroupe les gestionnaires de 14 parcs dans 11 pays d'Europe, et l'autre, franco-belge, réfléchit à l'enrichissement de la biodiversité dans la ville. À partir du 16 mars, se tiendront différentes journées d'échanges, avec des témoins européens, français, italiens, portugais, bulgares..., des échanges d'expérience... Trois sont d'ores et déjà programmées : la forêt et la ville, comment amener plus de vie sauvage, et trames vertes et bleues.
Les relais d'opinion, avec un gros travail de consultation des usagers, expliquer notre gestion et recueillir les avis, auprès de 500 associations, agriculteurs, pêcheurs, cyclistes, joggeurs... Nous travaillons sur une charte pour rendre compatible notre volonté d'enrichissement de la nature et la pratique de sports de plein air. Un cross mal organisé peut détruire un site naturel en un week-end ! Nous l'avons vécu... Pareil pour les courses d'orientation, il faut faire attention. Nous devons trouver les bons usages des uns et des autres, inventer un code de bonne conduite, nous avons vu des formules italiennes ou espagnoles intéressantes.
Nous voulons accentuer le contact avec le public le plus large, lui faire prendre conscience d'un patrimoine encore aujourd'hui méconnu. Nous avons trouvé un fil conducteur : l'arbre, que nous allons décliner sur chaque territoire, et en fonction des saisons. Partenaires de Lille 3000, nous intégrons également la thématique du fantastique, pré-projet cet été, et présents avec eux jusqu'en octobre-novembre. En 2011, nous avons recensé les arbres fantastiques, plus de 300, remarquables, par leur âge, grand, leur essence, rare, leur forme, étonnante, leur histoire, surprenante... Nous avons dressé une cartographie, accessible sur internet, pour repérer ces arbres hors normes. Une trentaine d'entre eux feront, au cours de l'année, l'objet d'événements, balades contées, performances d'artistes, qui les rendront encore plus incroyables, itinéraires de découverte...

Le déroulé des festivités...
Cinq périodes se succéderont. Du 1er mars au 11 mai, une partie intitulée « racines ». Nous allons, entre autres, planter plusieurs milliers d'arbres, des plantations collectives, comme l'encouragement chez les particuliers. Du 12 mai au 15 juin, mise en évidence du bois comme matériau d'avenir, avec l'inauguration du centre technique du parc du Héron, architecture en bois passive et énergie positive, ainsi que des animations démontrant tout ce que le bois peut nous apporter. Jusqu'au 30 août, nous rendrons visite aux peuples de l'arbre, tout se passera à la cime, avec, par exemple, le championnat régional des arboristes grimpeurs. 4ème période autour de la navigation, on peut citer un spectacle nocturne sur le site PCUK. Dernière période : l'automne fantastique. Nous aurons la chance notamment d'accueillir la cie Z.U.R, révélation Lille 2004, extraordinaire !

Et toujours, le fameux carnet de l'explorateur
Ce petit fascicule a été lancé en 2003, pas aussi fourni alors ! Une vingtaine d'associations se sont jointes à nous, nous proposons cette année 160 sorties. Et dans l'autre moitié du carnet, sous formes d'itinéraires et de plans, toutes les promenades à faire en liberté. 50 000 exemplaires distribués dans les 40 communes membres, et offices de tourisme, également en ligne courant mars.

« La première mission de l'ENLM reste la concertation, la nature représente un domaine sensible. La bataille sur l'usage des terres sur la métropole est telle que nous avons à convaincre de l'intérêt d'une métropole verte. »

 

Pour résumer, on voit que plusieurs missions incombent à l'ENLM, du défrichage d'un site à l'invitation du public à le faire sien !
La première mission de l'ENLM reste la concertation, la nature représente un domaine sensible. Ainsi, on explique aux riverains pourquoi il faut abattre tel arbre, pourquoi telle balade va passer près de chez eux, que l'on peut boiser le chemin s'ils souhaitent ne pas être vus du sentier... Nous voulons créer un maximum de boucles de deux heures, cela donne à chaque fois lieu à des débats publics, des soirées animées, mais finalement chacun comprend l'intérêt de l'autre. Deuxième mission : la gestion des espaces que l'on nous confie, avec la nécessité de trouver un équilibre entre nécessités écologiques, et nécessités sociales. Répondre à la demande sociale permet de préserver la nature. En 2007, un sondage montrait que 85% des promeneurs venaient d'un rayon de moins de 5 km. La gestion différenciée favorise le plus possible la nature, mais prend également en compte les usages sociaux. Troisième mission : l'animation, faire comprendre la nature aux usagers du site, faire passer le promeneur de consommateur à acteur. Cela peut changer les pratiques : ramener ses déchets, tenir son chien en laisse... Soit on met des panneaux et des gardes partout, ce qui ne fonctionne pas, soit on fait partager nos convictions, avec des animations culturelles, des promenades naturalistes... Culture et nature sont intimement liées. Quatrième mission, la promotion, faire connaître ce qui existe. La bataille sur l'usage des terres sur la métropole est telle que nous avons à convaincre de l'intérêt d'une métropole verte, que d'autres acteurs, politiques, même s'ils sont déjà bien engagés, et économiques, se rendent compte de l'intérêt des espaces verts urbains. En Grande-Bretagne, cela fait partie de la culture, dans un Nord-Pas de Calais lassé de l'industrialisation, tous nos sondages montrent que cet appétit pour les espaces verts s'est développé, le grand public est même en avance sur les politiques eux-mêmes !Pour exemple, sur la trame verte, les communes donnent des terrains à LMCU que nous gérons. Nous expliquons pourquoi nous ne tondons plus que deux fois par an, que l'on resème là où l'on avait une gestion horticole bien ordonnée et une pelouse bien tondue. Les élus ont craint que leurs administrés n'aiment pas ce changement, alors que ces derniers le validaient, envie d'un contact avec la nature « sauvage ». Cet enrichissement de la biodiversité était bien mieux perçu par les riverains que ce qu'imaginaient les élus. 50% des promeneurs ont envie d'être acteurs, cela nous pose question, nous devons trouver comment aller plus loin. Cela correspond à une évolution de la société, la volonté de participer, c'est complètement nouveau. Lorsque l'on fait des ateliers, on affiche complet ! Un changement !